24. André Lotterer - la chronique MyLittleRedCar dans AUTOHEROES #035

"En 1984 cette 911 a fait tremblé les murs de mon école . Trente ans plus tard j’ai eu l’opportunité de devenir pilote officiel Porsche… La boucle est bouclée"

RALENTIR ECOLE

André Lotterer, coureur automobile allemand, parfaitement francophone, trois fois vainqueur des 24 heures du Mans, a la passion des Porsches chevillée au corps depuis sa plus tendre enfance. Il revient sur un des ses premiers souvenirs.

Un jour, je ne devais pas avoir plus de quatre ans, Papa m'a emmené à la maternelle dans une voiture qu’il préparait. C’était une Porsche 911 SC/RS Groupe B surnommée la "Belga". Il était alors directeur technique de l'équipe RAS Sport, en Belgique. Pour des tests il s'autorisait quelques accélérations et quelques virages façon rallye, mais calé au fond du baquet, j’étais à peine assez grand pour apercevoir le ciel et la cime des arbres qui bordaient la route. Les intenses et sonores vibrations qui ont traversé mon corps alors que j'étais haut comme trois pommes sont restées ancrées en moi.

Cette expérience de prime jeunesse a sûrement contribué à forger ma passion pour la vitesse et la compétition automobile. Dès mon plus jeune âge, j'ai su ce que je voulais faire, bercé par les vibrations des moteurs que mon père faisait passer sur le banc lorsque je jouais entre les autos parquées dans l’atelier de compétition. J'ai côtoyé des pilotes auxquels, très vite, j'ai voulu ressembler et j'ai arpenté bon nombre de paddocks. Cette ambiance m'a enchanté et j'ai voulu en faire mon univers.

C'est mon père qui a fait de moi le pilote que je suis aujourd'hui, et qu'il aurait vraisemblablement aimé être lui-même. C'est à lui que je dois mes combinaisons stand 21 sur mesure, mes kartings rutilants préparés aux petits oignons... Certains diront qu'il a vécu son rêve à travers moi. D'autres qu’il a été de ces papas dont l’ambition pour leurs enfants est si démesurée qu’elle en devient tyrannique comme pour les soeurs Williams. Mais sa seule motivation a été l'amour qu'il me portait, son envie de me voir aller au bout de mes propres rêves. Nous avons eu la chance d'avoir une passion commune. Pour un père et un fils, ça n'a pas de prix. Aujourd'hui, je vis de cette passion, quelle chance !

Je n'ai pourtant pas eu la même adolescence que mes camarades, qui sortaient faire la bringue le samedi soir, mais jamais je n'ai lâché prise. Il me consacrait tout son temps libre en me suivant sur tous les circuits, le week-end et les vacances. Malgré sa grande connaissance du milieu, mon père a été obligé d’y ajouter quelques sacrifices financiers et il a parfois fallu se serrer la ceinture. Il a pu compter sur le soutien inconditionnel de ma mère. Ma mère savait d’ailleurs se montrer plus indulgente que lui, m'autorisant à vivre une vie d’adolescent un peu plus classique. Les élèves de mon âge et les professeurs ne comprenaient pas vraiment mes parents qui m’autorisaient à louper des cours pour des entraînements ou des compétitions. Au lendemain d'un reportage à  la télé sur mes premiers exploits en kart, tout le monde s’est soudainement intéressé à moi dans la cour de récré. Plus tard, j’ai même appris qu’une photo de moi était toujours accrochée dans une salle du lycée et que les profs me prenaient comme exemple pour expliquer qu’il faut toujours s’accrocher à ses rêves et travailler dur.

Tous ces souvenirs ont bien évidemment ressurgi quand je me suis retrouvé pour la première fois, en 2011, sur la plus haute marche du podium des 24 Heures du Mans. Ce jour-là, je me suis dit que mes parents avaient réussi leur mission en me donnant le sens de l’abnégation et de l’effort. Sans eux, jamais je n'aurais eu cette pugnacité qui m'a permis de me retrouver là haut, sur cette petite passerelle surplombant la foule et donnant, pendant quelques minutes, la sensation d'être une rock star. 

Je vais tenter de décrocher une quatrième victoire aux 24 Heures du Mans en juin prochain, mais ma passion pour l'automobile va bien au-delà du pilotage. En effet, je me suis concocté une collection dans laquelle la ''Belga'' aurait totalement sa place. Quand je me balade sur les routes du Vaucluse au volant de l'une de mes 911, il m'arrive de penser à ce trajet pour la maternelle, aux frissons ressentis ce jour-là. C'est un peu de là que tout est parti, alors merci Papa !

"Une photo de famille lors d’un week-end « normal » chez les Lotterer dans les années 80."

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